Adieux et embarquement

I

Alors Brendan prit congé de ses moines, envers lesquels il était un père très bon. Il leur parla de son voyage, et leur expliqua qu'il avait l'intention de le mettre entre les mains de Dieu. Il les confia tous à son prieur, à qui il exposa la façon dont il devrait veiller sur eux. Quant aux moines, il leur commande de lui obéir et de le servir fidèlement comme s'il était leur abbé. Alors Brendan les embrasse et part. Ils éprouvent beaucoup de chagrin et pleurent, car leur père ne veut emmener que quatorze d'entre eux.

Brendan se dirigea vers l'océan où Dieu lui avait révélé qu'il devait s'embarquer. Il ne se laissa pas détourner pour aller voir sa famille : il s'était fixé un but plus précieux. Il alla jusqu'au bord de la mer sans souci de repos. Il arriva au rocher que les gens de la région appellent encore le Saut de Brendan. [carte-1] Il s'agit d'un roc qui s'avance très loin dans l'océan tout comme un promontoire. Au pied de ce promontoire se trouve un port à l'endroit où un cours d'eau se jette dans la mer. Ce cours d'eau, petit et très étroit, débouchait directement de la paroi de la falaise. Personne avant Brendan n'avait, je pense, fait cette descente. C'est là qu'il fit apporter du bois de charpente pour faire construire son bateau. Il revêtit tout l'intérieur de sapin et couvrit l'extérieur de peaux de bœuf. Il le fit calfater pour qu'il glisse facilement et rapidement sur l'eau. Puis il installa tout l'équipement nécessaire, tout ce que le bateau pouvait contenir. Il y mit également les provisions qu'ils avaient apportées, des vivres pour quarante jours sans plus. Brendan dit aux moines : « Montez à bord ! Rendez grâces à Dieu pour le bon vent qu'il nous envoie. »




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Dunc prent cungé a ses freres,
As quels il ert mult dulz peres,
E dist lur ad de seon eire
Cument a Deu le voleit creire.
A sun prïur tuz les concreit,
Dist lui cument guarder les deit.
Cumandet eals lui obeïr,
Cum lur abét mult bien servir.
Puis les baiset Brandan e vait.
Plurent trestuit par grant dehait
Que mener ne volt lur peres
Fors quatorze de lur freres.

 

Vait s'en Brandan vers le grant mer
U sout par Deu que dout entrer.
Unc ne turnat vers sun parent :
En plus cher leu aler entent.
Alat tant quant terre dure;
Del sujurner ne prist cure.
Vint al roceit que li vilain
Or apelent le Salt Brandan.
Icil s'estent durement luin
Sur l'occean si cume un gruign.
E suz le gruign aveit un port
Par unt la mer receit un gort,
Mais petiz ert e mult estreits;
Del derube veneit tut dreiz.
Altres, ço crei, avant cestui
Ne descendit aval cel pui.
Ci aloeces fist atraire
Mairen dunt sa nef fist faire :
Tut dedenz de fust sapin,
Defors l'avolst de quir bovin;
Uindre la fist qu'esculante
Od l'unde fust e curante.
Ustilz i mist tant cum estout
E cume la nef porter en pout.
La guarisun i mist odveoc
Que il aveient portét ileoc :
Ne plus que a quarante dis
De vïande n'i out enz mis.
Dist as freres : 'Entrez en enz !
Deus gracïez : bons est li venz.'