L'île aux brebis

I

Les serviteurs de Dieu ont ainsi compris que leur voyage se déroule sous les ordres du Seigneur, et ils en trouvent la confirmation indiscutable dans les miracles dont ils ont été les témoins. Ils se rendent bien compte également que c'est Dieu qui se charge de leur nourriture, et tous d'exalter les louanges de Dieu. Sur ce ils repartent, et leur bateau  cingle au vent. La protection de Dieu les accompagne. Une grande partie de l'année ils continuent leur voyage, souffrant énormément de la fatigue. Ainsi qu'ils l'espéraient, ils arrivèrent en vue d'une île qu'ils aperçurent à l'horizon aux confins du ciel et de la terre. Ils y dirigent leur bateau et tous s'empressent de ramer. Ils larguent les cordages, amènent la voile, accostent et sautent à terre. Ils voient un énorme troupeau de brebis. Chacune avait une toison blanche et était de la taille des cerfs dans les landes. L'abbé leur dit : « Seigneurs, nous ne repartirons pas d'ici avant trois jours. C'est aujourd'hui le jeudi de la Cène, commémoration des souffrances du Fils de Dieu. En ami clément toujours prêt à nous aider, il a bien voulu nous fournir de quoi célébrer la fête. Veillez à l'échouage du bateau ! Prenez une de ces brebis et préparez-la pour le jour de Pâques. Demandons-en la permission à Dieu, puisque nous ne trouvons ici aucun être humain. »


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Or unt voüt li Deu servant
Que il eirent par Deu cumant,
E unt pruvét tut a soüt
Par miracles que unt voüt.
E bien veient que Deus les paist:
De loër Deu nuls ne se taist.
Siglent al vent, vunt s'en adés.
Li cunduz Deu mult lor est pres.
Curent par mer grant part de l'an
E merveilles trestrent ahan.
Terre veient a lur espeir,
Cum de plus luin lur pout pareir.
Drechent lur nef icele part,
E n'i at nul de nager se tart.
Lascent cordes, metent veil jus;
Ariverent e sailent sus.
Veient berbiz a grant fuisun,
A chescune blanche tuisun.
Tutes erent itant grandes
Cum sunt li cers par ces landes.
Dist lur l'abes: 'Seignurs, d'ici
Ne nus muverum devant terz di.
Jusdi est oi de la ceine,
Cum li Filz Deu suffrit peine;
Il nus est douz e prest amis
Qui prestement nus ad tramis
Dunt poüm la feste faire.
Pensez de la nef sus traire !
De icez berbiz une pernez,
Al di pascal la cunrëez.
A Deu cungét de ço ruvum,
Altre quant nus or n'i truvum.'