Les anges neutres

I

Émerveillé, l'abbé prie Dieu, son conseiller, de lui faire comprendre dans quel genre de lieu il est arrivé, ce que signifient ce spectacle et ce grand nombre d'oiseaux; que le Seigneur par sa puissance veuille bien l'en instruire ! Quand Brendan eut fini sa prière, l'un des oiseaux descendit. Le bruit de ses ailes était doux comme le tintement d'une clochette.

Après que l'oiseau se fut posé sur le bateau, Brendan courtoisement et gentiment lui adressa la parole : « Si tu es une créature de Dieu, écoute ce que je vais te dire. Tout d'abord, dis-moi qui tu es, ce que signifie votre présence ici, toi et tous les autres oiseaux qui me semblez si beaux. » L'oiseau répond : « Nous sommes des anges qui habitions autrefois au ciel. De si haut, nous sommes tombés si bas en compagnie du misérable Orgueilleux qui s'est révolté par superbe et s'est rebellé contre son seigneur qu'il trahit. Il a été désigné comme notre maître et chargé de nous nourrir de la puissance divine. Comme il était de grande science, nous étions contraints de l'accepter comme maître. Par orgueil il est devenu un méchant traître et s'est montré dédaigneux des paroles de Dieu, après quoi nous avons continué à la servir et à lui obéir comme auparavant. Voilà pourquoi nous avons été déshérités, et chassés du royaume de la vérité. Comme nous n'étions pas nous-mêmes coupables, le Tout-Puissant nous a accordé ce répit : nous ne subissons pas les mêmes châtiments que ceux qui ont partagé sa conduite orgueilleuse. Notre seule punition est d'être privés de la majesté de Dieu, de ne pas être admis en présence de sa gloire et de ne pas pouvoir en jouir. Cet endroit, dont tu demandais le nom, s'appelle le Paradis des Oiseaux. » [carte-3] Il poursuivit : « Voici un an que vous souffrez les épreuves de la mer. Il vous reste encore six ans de voyage avant d'atteindre le Paradis. Vous allez errer d'un côté de l'océan à l'autre en supportant bien des peines et des souffrances, et chaque année vous reviendrez célébrer la fête de Pâques sur la baleine. »




504



508



512



516



520



524



528



532



536



540



544



548



552

Li abes prent a merveiller
E prïet Deu sun conseller
Que li mustret quel cose seit,
Si grant plentét des oiseus que deit,
Quel leu ço seit u est venuz;
D'iço l'asent par ses vertuz.
Sa prïere quant la laisat,
L'un des oiseus s'en devolat.
Tant dulcement sonat li vols
En eschele cum fait li cols;
E puis qu'asist desur la nef,
Brandan parlat bel e süef:
'Si tu es de Deu creature,
De mes diz dunc prenges cure !
Primes me di que tu seies,
En cest liu que tu deies,
Et tu e tuit li altre oisel,
Pur ço que a mei semblez mult bel.'
L'oiseil respunt : 'Angele sumes,
E enz en ceil jadis fumes;
E chaïmes de halt si bas
Od l'orguillus e od le las
Par superbe qui revelat,
Vers sun seignur mal s'eslevat.
Cil fut sur nus mis a meistre,
De vertuz Deu nus dut paistre;
Puroc que fu de grant saveir,
Sil nus estout a meistre aveir.
Cil fud mult fels par superbe,
En desdein prist la Deu verbe.
Puis que out ço fait, lui servimes
E cum anceis obedimes;
Pur ço sumes deseritét
De cel regne de veritét.
Mais quant iço par nus ne fud,
Tant en avum par Deu vertud:
N'avum peine si cum cil
Qui menerent orguil cum il.
Mal nen avum fors sul itant:
La majestéd sumes perdant,
La presence de la glorie,
E devant Deu la baldorie.
Le num del leu que tu quesis,
C'est as Oiseus li Paraïs.'
E il lur dist: 'Or ad un an
Que avez suffert de mer l'ahan;
Arere sunt uncore sis
Ainz que vengez en paraïs.
Mult suffreiz e peines e mal
Par occean, amunt aval,
E chescun an i frez la feste
De la Pasche sur la beste.'