Arrivée à l'île d'Ailbe

I

Ils font force de voiles, remerciant Dieu de leur avoir envoyé un vent si propice. Mais par la suite le vent augmente, et à plusieurs reprises les moines s'effraient de la violence de la tempête et craignent pour leur vie. Au bout de quatre mois, ils voient la terre, mais ils ont beaucoup de peine à y parvenir. Pourtant, le sixième mois, ils virent leurs efforts aboutir. Sur le point d'aborder, ils ne réussissent pas à trouver un endroit pour débarquer. Ils cherchent tout autour pendant quarante jours avant de pouvoir pénétrer dans un port, car les rochers et les hautes falaises les empêchent d'accéder à la terre. Finalement, ils découvrent un chenal creusé par un cours d'eau dont ils savent tirer parti. Les moines qui halent le bateau en amont se fatiguent et s'arrêtent pour se reposer.

Alors l'abbé déclare : « Accostons et mettons-nous en quête de notre subsistance. » Un à un l'abbé et ses compagnons descendent tous du bateau. Ils trouvent une source d'où naissent deux ruisselets, l'un clair, l'autre trouble. Les moines, qui meurent de soif, s'y précipitent. L'abbé leur dit : « Retenez-vous ! Je vous défends de boire de cette eau pour le moment avant que nous ayons parlé avec les habitants du pays. Nous ignorons quelle est la nature des ruisseaux que nous avons découverts. » Redoutant les paroles de l'abbé, ils réfrènent avec beaucoup d'effort leur envie brûlante de boire. Peu après, voici venir un vieillard de haute stature qui arrive en courant. Les moines auraient eu peur s'ils n'avaient pas remarqué son habit de moine, car celui-ci ne leur adresse pas la parole. Il vient se jeter aux pieds de Brendan, qui le relève en le prenant par la main. S'inclinant bas, par humilité, il se met à embrasser Brendan et tous les moines. Puis il prend Brendan par la main droite pour l'emmener à sa demeure. Il convie les autres par un geste à venir admirer un site des plus splendides.




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Vunt s'en mult tost en mer siglant,
De tant bon vent Deu gracïant.
Crut lur li venz e mult suvent,
Crement peril e grant turment.
Puis quatre meis veient terre,
Mais fort lur est a cunquerre.
E nepurtant a la parfin
Al siste meis virent la fin.
Prengent terre, mais nepuroec
Nul' entree truvent iloec.
Virun en vunt .xl. dis
Ainz que en nul port se seient mis,
Quar li rocheit e li munz grant
A la terre lur sunt devant.
Puis mult a tart truvent un cros
Que fait uns duiz, qui lur ad os.
Qui cundüent lur nef amunt
Reposent sei quar lassét sunt.
Puis dist l'abes: 'Eisums fors;
Querums que seit mester as cors.'
Eisent s'en tuit uns e uns,
L'abes ovoec ses cumpaignuns;
E funtaine trovent duble,
L'une clere, l'autre truble.
Vunt i curant cum sedeillus.
Dist lur l'abes: 'Retenez vus !
Prendre si tost jo vus defent
D'ici que avum parlé od gent.
Quel nature nus ne savum
Aient li duit que trovét avum.'
Les diz l'abét, cil les crement,
E lur mult grant seif, le prement.
Hastivement e nun a tart,
Ast vus currant un grant veilard.
Poür oussent ne fust l'abit,
Quar moines ert; mais rien ne dit.
Vient enchaër as pez Brandan.
Drechet lui sus cil par la main.
Clinet parfunt e humlement;
Le abét e tuz baiser enprent.
Puis prent Brandan par la destre
Pur mener l'en a sun estre.
As altres dist par sun signe
Vengent vedeir leu mult digne.