Dieu pourvoit à tout

I

Lorsqu'il nous eut initiés à son ordre et qu'il nous y eut fermement établis, Dieu le rappela à lui. Voici quatre-vingts ans qu'il est mort, et depuis lors Dieu a si bien pourvu à nos besoins qu'aucun malheur ne nous est arrivé, aucune maladie ne nous a frappés, aucune souffrance, aucune affliction. La nourriture que nous mangeons vient de Dieu; c'est tout ce que nous savons. Personne ne travaille pour nous, et nous ne voyons personne apporter notre nourriture, mais chaque jour de la semaine, sans que nous ayons à le demander, nous nous trouvons pourvus de pain à raison d'une miche entière pour deux les jours ouvrables, et les jours de fête j'en ai une entière pour mon souper, et mes compagnons de même. Des deux ruisseaux que vous avez vus et où vous avez failli boire, l'un, le clair, donne de l'eau fraîche que nous buvons, alors que l'autre, le trouble, est chaud et sert à notre toilette. Nos lampes s'allument toutes seules à l'heure voulue. Malgré la combustion de la flamme, ni la cire ni l'huile ne sont consommées. La flamme s'allume d'elle-même et d'elle-même elle s'éteint; aucun de nos moines ne s'en occupe. La vie que nous menons ici est douce et sans souci. Avant même que nous n'apprenions votre arrivée, Dieu a daigné nous fournir des provisions à votre intention. Il en a augmenté la quantité habituelle; je vois bien qu'il désirait vous recevoir. Vous ne repartirez d'ici que le huitième jour après l'Épiphanie. Vous resterez ici en attendant, et vous ne vous en irez qu'au jour dit. » Brendan répondit : « Il n'est pas de lieu plus agréable que celui-ci, pas de lieu où j'aurais préféré demeurer. » L'abbé répond : « Poursuis la quête qui t'a emmené loin de chez toi. Ensuite tu retourneras dans ton pays, et tu mourras là où tu es né. Tu t'en iras dans huit jours, à l'octave de l'Épiphanie. »




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Puis que le ordre nus out apris
E fermement nus out asis,
Dunc lui prist Deus de sei pres;
Uitante anz ad que prist decés.
Deus nus ad puis si sustenuz
Que nuls mals n'est sur nus venuz,
De nostre cors nul' enfermetét,
Ne peisance ne amertét.
De Deus nus veint, el ne savum,
La vïande que nus avum.
Nus n'i avum nul loreür,
Ne n'i veduns aporteür,
Mais chescun jurn tut prest trovum,
Sanz ço qu'ailur nus nel ruvum,
Tute veie le jurn uvrer
Entre les deus un pain enter;
A di festal ai tut le men
Pur le super, e chascun le soen.
E des dous duiz que veïstes,
Dunt pur un poi ne preïstes,
Li clers est freiz que al beivre avum,
Li trubles calz dun nus lavum.
E as hures que nus devum
En noz lampes fou recevum,
Ne pur l'arsun que cist fous fait
Cire ne oile le plus n'en vait;
Par lui emprent, par lui esteint,
N'avum frere de ço se peint.
Ici vivum e sanz cure,
Nule vie n'avum dure.
Ainz que vostre venir sousum,
Volt Deus qu'a vus cunrei ousum.
Il le dublat plus que ne solt;
Bien sai que vus receivre volt.
Des Thephanie al uitime di
Dunc a primes muverez d'ici ;
Desque dunches sujurnerez,
Puis a primes vus an irez.'
Dunc dist Brandans: 'N'est liu si chers
U mansisse si volunters.'
Respunt l'abes: 'Ço va quere
Pur quei moüs de ta terre,
Puis revendras en tun païs,
lleoc muras u tu nasquis.
Muveras d'ici la semaine
As uitaves de Thephaine.'