Combat et défaite du monstre

I

Ayant ainsi parlé, il se mit à prier Dieu, et instantanément ses prières furent exaucées: les moines voient arriver un deuxième monstre qui va bel et bien affronter le premier. Celui-ci se dirigeait droit sur le bateau, lorsque le deuxième annonça son arrivée avec un beuglement de rage. Le premier reconnut qu'il allait devoir l'attaquer, et se détourna du bateau pour reculer. Les deux bêtes sont aux prises l'une avec l'autre : elles dressent leurs têtes haut dans les airs; des flammes jaillissent des naseaux et s'envolent jusqu'aux nuages. Avec leurs nageoires, qu'elles brandissent comme des boucliers, et avec leurs pattes, elles assènent des coups l'une sur l'autre. Elles se mordent et se déchirent de leurs dents tranchantes et aiguisées comme des épieux. Le sang gicle des morsures féroces qu'infligent les dents dans leurs énormes corps. Les plaies sont très profondes, et les vagues ensanglantées. La bataille fut furieuse, et la mer toute démontée par l'agitation qu'elles créaient. Puis le deuxième monstre l'emporta en mettant à mort le premier. De ses dents il se mit à le lacérer, et finit par le déchirer en trois morceaux. Ainsi vengé, il regagna son repaire.




928



932



936



940



944



948



952

Puis que out dist, a Deu urat;
Ço qu'out urét ne demurat:
Altre beste veient venir
Qui bien le deit cuntretenir.
Dreit cum ceste vers la nef traist,
L'altre qui vient a rage braist.
Ceste cunuit sa guerrere;
Guerpit la nef, traist s'arere.
Justedes sunt les dous bestes:
Drechent forment halt les testes;
Des narines li fous lur salt,
Desque as nües qui volet halt.
Colps se dunent de lur noës,
Tels cum escuz, e des podes.
A denz mordanz se nafrerent,
Qui cum espiez trenchant erent.
Salt ent li sanz des aigres mors
Que funt li denz en cez granz cors;
Les plaies sunt mult parfundes,
Dun senglantes sunt les undes.
La bataile fud estulte:
En la mer out grant tumulte.
E puis venquit la dereine;
Morte rent la primereine:
A denz tant fort la detirat
Que en tres meitez le descirat.
E puis que fist la venjance,
Realat a sa remanance.