Monstres en convoi

I

La fête de saint Pierre, martyrisé dans les jardins de Néron, arriva. Les moines la célébrèrent avec munificence vu qu'il était le premier pape. L'abbé, qui officiait suivant le canon établi, chantait distinctement et très fort. « Très cher père », disent tous les moines, « chante moins fort, autrement tu nous feras mourir. L'eau est si limpide partout dans les profondeurs que nous voyons jusqu'au fond de la mer qui grouille de poissons; il y en a d'énormes, des féroces, dont nous n'avons jamais entendu parler. Si le bruit les dérange, nous sommes condamnés à mourir, sache-le bien. »

L'abbé sourit; il estime qu'ils perdent la raison et leur adresse des reproches. « Seigneurs, pourquoi avoir peur de quoi que ce soit ? Voilà que vous abandonnez votre foi ! Vous avez couru des dangers plus grands que celui-ci, et dans chaque cas Dieu vous a bien protégés. Cette fois-ci, le péril ne s'est pas encore présenté. Battez votre coulpe ! » leur dit Brendan. Il se mit à chanter encore plus fort, à tue-tête. Des monstres puissants surgirent du fond des eaux. Ils se réjouirent de la fête du jour en accompagnant le bateau. Lorsque les moines eurent fini de chanter le service approprié au jour, chaque poisson s'en alla poursuivre son chemin.


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Vint la feste de saint Perrunt
Ki fud ocis al préd Nerunt;
Feste li funt cil e glorie
A saint Perrunt l'apostorie.
Cum l'abes fist le servise,
Sicum la lei est asise,
Chantout mult halt a voiz clere.
Dunc dïent tuit li frere:
'Beal pere chers, chante plus bas,
U si ço nun, murir nus fras;
Quar tant cler' est chascun' unde
U la mer est parfunde
Que nus veüm desque en terre,
E de peissuns tante guerre.
Peissuns veüm granz e crüels,
Unc n'oïmes parler de tels.
Si la noise les en commout,
Sachez, murir nus estout.'
L'abes surrist e les blasmat,
E pur mult fols les aësmat:
'Seignurs, de rien pur quei dutez?
Voz crëances cum debutez!
Perilz avez suffert plus granz;
Vers tuz vus fud Deus bons guaranz.
Uncore ne vus vint cist.
Clamez culpe!', Brandans lur dist.
Chantat plus halt e forment cler.
Sailent bestes ruistes de mer,
Vunt costeant la nef enturn,
Goïsant la feste del jurn.
Puis q'unt chantét que al jurn partint,
Chescun peissun sa veie tint.