Une terre inhospitalière

I

Les pèlerins ont déjà parcouru une très grande distance, mais ils n'entrevoient pas encore la fin. Pourtant ils ne ralentissent pas leurs efforts : plus ils avancent, plus ils se mettent en peine, et ils ne cesseront de peiner jusqu'à ce qu'ils voient l'objet de leurs désirs. Ils virent poindre, au milieu des brumes, une étendue de terre entourée de nuages et de brouillard noir. Ensevelie sous un linceul de noirceur et environnée de fumées putrides, elle puait plus que la charogne. Les moines n'avaient aucun désir d'y faire escale, et de très loin ils se rendirent compte que l'île leur réservait un mauvais accueil. Malgré les grands efforts qu'ils font pour changer de cap, ils se trouvent obligés de se plier au vent qui les pousse dans cette direction. L'abbé les met au courant de ce qui se passe en disant : « Sachez bien que vous êtes propulsés vers l'Enfer. Vous n'avez jamais eu si grand besoin de la protection de Dieu qu'en ce moment. » Brendan leur donne sa bénédiction. Il sait bien qu'ils s'approchent du puits de l'Enfer : plus ils s'en approchent, mieux ils voient que c'est un lieu maléfique, et plus cette dépression leur semble ténébreuse.

Projetées des vallées profondes et des fosses, d'énormes lames enflammées s'envolent dans l'air; le vent, comme venant d'un soufflet, mugit; le tonnerre ne rugit pas si fort. Lames étincelantes, roches en fusion et flammes volent si haut dans l'air que la lumière du jour en est masquée.




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Granz curs unt fait li pelerin,
Mais uncore ne sevent fin.
E nepurtant ne s'en feignent:
Mais cum plus vunt, plus se peinent,
Ne de peiner ne recrerrunt
De ci que lur desir verrunt.
Apparut lur terre truble
De neir calin e de nuble:
De flaistre fum ert fumante,
De caruine plus puante;
De grant nerçun ert enclose.
Cist ne rovent estre en pose,
E de mult luign unt or oït
Que la ne erent guairs goït.
Mult s'esforcent de ailurs tendre,
Mais ça estout lur curs prendre
Quar li venz la les em meinet.
E li abes bien les enseignet
E dist lur: 'Bien sachez
Que a enfern estes cachez.
N'oustes mester unc mais si grant
Cum or avez de Deu guarant.'
Brandans ad fait sur eals la cruz.
Bien set, pres est d'enfern li puz:
Cum plus pres sunt, plus veient mal,
Plus tenebrus trovent le val.
Des parfunz vals e des fosses
Lammes ardanz volent grosses.
De fous sufflanz li venz enruit;
Nuls tuneires si halt ne muit.
Estenceles od les lammes,
Roches ardanz e les flammes
Par cel air tant halt volent
Le cler del jurn que lur tolent.