Un enfer personnel

I

Brendan emmène ses moines, armés de sa bénédiction, et ils reprennent le voyage. Ils virent se dresser dans la mer une butte qui ressemblait à un roc; et c'en était un en effet, mais les moines ne voulaient pas croire leurs yeux. Puis l'abbé dit : « N'hésitons pas ! Hâtons-nous d'aller découvrir ce que c'est. » Ils y arrivèrent et trouvèrent ce qu'ils ne s'attendaient guère à voir : un homme nu assis sur le rocher, un homme en perdition, tiraillé, lacéré, déchiré. Le visage enveloppé d'un morceau d'étoffe, il s'accrochait à un pilier. Il se cramponnait au rocher pour empêcher que les vagues ne le renversent en arrière. Les vagues le fouettent et lui font souffrir une mort sans fin. Une vague le heurte et il faillit couler; une autre vient le frapper par derrière et le repousse plus haut. Péril devant, péril en haut, péril derrière, péril en bas; un grand supplice à droite et un supplice non moindre à gauche. Exténué par les assauts des vagues, il se lamente sur son sort.


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Puis les meinet Brandans par mer,
Des signacles les fait armer.
Veient en mer une boche
Si cum ço fust une roche;
E roche fut verablement,
Mais nel quïent crëablement.
Dunc dist l'abes: 'Ne demurum!
Sachum que seit, si i curum.'
Vindrent ila, si truverent
Iço que poi espeirerent:
Sur la roche u sunt venud
Trovent seant homme nud.
Mult ert periz e detirez,
Delacherez e descirez.
D'un drap liéd sun vis aveit,
A un piler si se teneit.
Fort se teneit a la pere
Que nel rusast le unde arere;
Undes de mer le ferent fort,
Pur quei n'ad fin la süe mort.
Le une le fert, pur poi ne funt;
Le altre detriers jetet l'amunt.
Peril devant, peril desus,
Peril detriers, peril dejus;
Turment grant ad a destre,
Ne l'ad menur a senestre.
Quant l'unde ad fait ses empeintes,
Mult lassement fait ses pleintes.