Cris du supplicié

I

« Ah ! Jésus, roi de majesté, suis-je destiné à continuer à mourir sans fin ? Jésus, toi qui assures les révolutions des astres, ta pitié est si précieuse. Jésus, toi qui es si miséricordieux, serai-je jamais délivré de mes souffrances ? Jésus, fils de Marie, je ne sais si je devrais implorer ton pardon : je ne puis ni n'ose le faire, car mon crime a été si odieux que ma condamnation a déjà été prononcée. »

En entendant l'homme se plaindre ainsi, Brendan éprouve la plus grande douleur qu'il ait jamais connue; il lève la main et fait le signe de la croix sur tous ses compagnons, et fait tout ce qu'il peut pour l'atteindre. A son approche, le vent et la brise cessent d'agiter la mer, et elle se calme. Brendan lui dit : « Dis-moi, malheureux, pourquoi tu souffres ces supplices. Je t'ordonne de me le dire, au nom de Jésus que tu implores; et dis-moi sans détour qui tu es, et le crime qui t'a fait exiler ici. »


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'A ! reis, Jesu, de majestét,
Faldrat ma morz n'ivern ne estét?
Jesu, chi moz tut le trone,
Ja est ta mercit itant bone.
Jesu, tant es misericors;
Ert nul' hure que seie fors?
Jesu, li nez de Marie,
Ne sai si jo mercit crie:
Ne puis ne n'os, quar tant forfis
Que jugemenz de mei est pris.'


Quant le oit Brandans issi plaindre,
Unches dolur nen out graindre;
Levet sa main, tuz les seignet,
D'apresmer la mult se peinet.
Cum apresmout, la mer ne mot,
Ne venz ne orrez ne la commot.
Dist lui Brandans: 'Di mei, dolenz,
Pur quei suffres icez turmenz?
De part Jesu, qui tu crïes,
Jo te cumant quel mei dïes;
E certement me di qui es,
E le forfait pur quei ci es.'