Le récit de Judas

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Les larmes que versait Brendan l'empêchèrent de continuer, et il se tut. D'une voix basse, très rauque et lasse à l'extrême, l'homme lui répond : « Je suis Judas, celui qui servait Jésus et qui l'ai trahi. C'est moi qui ai vendu mon seigneur et me suis pendu de désespoir. Feignant de l'aimer, je suis même allé jusqu'à lui donner le baiser de paix. J'ai semé la discorde entre les gens quand j'aurais dû les réconcilier. C'est moi qui ai gardé l'argent qui lui appartenait, et je l'ai dissipé en cachette; j'ai caché dans ma bourse les offrandes qu'on lui faisait alors qu'il recommandait vivement qu'elles soient données aux pauvres : c'est pour cette raison que j'ai à souffrir ainsi, moi qui croyais cacher mes crimes à celui qui a créé le ciel étoilé. J'ai refusé aux pauvres de Dieu l'argent qui leur était destiné. Maintenant ils sont riches tandis que moi, je mendie. Je suis le perfide qui ai pris Dieu en haine, qui ai livré perfidement aux loups l'agneau innocent. Quand je l'ai vu entre les mains de Pilate, j'ai fait bien piètre figure. Quand j'ai vu le pieux Jésus entre les mains des Juifs et livré aux bourreaux, quand j'ai vu qu'ils l'adoraient avec des railleries et lui mettaient une couronne d'épines, quand je l'ai vu traité avec bassesse, sachez que j'ai été des plus affligés. Puis je l'ai vu emmener à sa mort; j'ai vu le sang couler de son précieux côté. Quand je l'ai vu crucifié et livré à la mort par ma faute, j'ai tout de suite offert les trente deniers; on n'a pas voulu accepter l'indemnité. Au lieu de me repentir, ainsi qu'il aurait convenu à une homme avisé, je suis entré dans une rage folle et me suis tué.




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Pur le plurer Brandans ne pout
Avant parler, mais dunc se tout.
Cil lui respunt a voiz basse,
Mult ert roie, forment lasse:
'Jo sui Judas qui serveie
Jesu que jo traïseie.
Jo sui qui mun seignur vendi,
E pur le doul si me pendi.
Semblant d'amur fis pur baiser,
Descordai quant dui apaiser.
Jo sui qui sun aveir guardai,
En larecin le debardai;
E le offrande q'um li portout,
Tut' as povres il l'enhortout,
Jo celoue en mes burses:
Puroc me sunt peines surses;
E quidoue que fust celét
A lui qui fist cel estelét.
As povres Deu bien defendi;
Or sunt riche, e jo mendi.
Jo sui li fels qui Deu haï,
Le simple agnel as lus trahi.
Quant vi que as mains ert Pilate,
Dunc oi chere forment mate.
Quant vi as mains ert as Judus,
A ceals crüels liverez li pius,
Quant vi que as gabs l'aürouent,
E d'espines coronouent,
Quant vi vilement que fud traitez,
Sachez que fui mult dehaitez.
Puis vi que fud menez tüer;
Le dulz costéd vi sanc süer.
Quant vi qu'en cruz esteit penduz,
E fud a mort de mei venduz,
Les deners tost offri trente;
Cil ne voldrent cuilir rente.
Repentance n'en oi sage,
Ainz me tuai par ma rage.