Nous faisions voile vers l’ouest lorsqu’une tempête fondit sur nous. Le bateau était prêt à chavirer quand nous aperçûmes avec effroi qu’un monstre marin, plus vif que le vent qui nous malmenait, fonçait sur nous. Il hurlait plus fort que quinze taureaux. Sa gueule était énorme et vomissait des flammes qui risquaient à chaque moment d’enflammer notre navire. Son corps était gigantesque et ses dents acérées comme des lances. 1500 hommes n’auraient réussi à l’abattre. Les vagues que le monstre soulevait déclenchaient une immense tempête.

On dit que c'est surtout au temps des solstices qu'on voit les monstres marins. Au moment où les cyclones et les bourrasques s'abattent des cimes en bouleversant les mers et débusquent les monstres des profondeurs.

Il existe, au fond de la vaste mer, une bête que l'on nomme serre. Elle possède une crête en forme de scie, dont elle se sert pour briser le ventre des navires et ses ailerons sont si grands qu'elle les utilise comme des voiles. Elle peut bien parcourir cinq ou même huit lieues à la poursuite d'un bateau puis, à bout de forces, elle retombe au plus profond des océans.

Sans aucun doute, cette bête possède une importante signification symbolique. La mer vaste et profonde représente le monde où nous vivons, qui est méchant, impitoyable et aussi rempli de dangers que la mer. Les hommes qui font voile à travers la mer représentent les bons qui naviguent en maintenant leur navire sur le bon cap, à travers les vagues, les tourmentes, contre les périls et les vents. Nous tenterons d'être de ceux-ci, hommes sages et bons et nous naviguerons si droit que le perfide démon ne parviendra pas à nous faire faire naufrage.

Chacun d'entre nous traverse des tourmentes, mais si nous restons fidèles à notre foi et que nous nous mettons dans la main de Dieu, rien ne peut nous atteindre. Mais nous devons rester aveugles au monde imparfait et cruel qui nous entoure et au mal qui déchire le monde. Mes frères et moi nous mîmes à prier Dieu de nous éviter une mort atroce mais notre abbé nous rassura en nous assurant que celui que prend Dieu sous sa protection ne doit redouter aucune créature vivante. Dieu a créé les monstres pour signifier d’une façon admirable son ire ou sa miséricorde.

Comme pour lui donner raison, un second monstre surgit du fond des océans. Il attaqua avec fureur le premier et le mit à mort.