Le Voyage de saint Brendan  

I

Madame la reine Aélis, grâce à qui la religion chrétienne prévaudra et la justice en ce bas monde s'affermira, et par qui un terme sera mis à tant de guerres en vertu de la puissance militaire du roi Henri et des sages conseils que vous saurez prodiguer, l'émissaire Dom Benoît vous salue mille et mille fois. Il a entrepris la tâche que vous lui avez imposée et s'y est engagé de son mieux; et il a consigné par écrit en langue vulgaire, ainsi que vous l'avez commandé, l'histoire du bon abbé saint Brendan. Veillez à ce qu'il ne soit pas tourné en dérision, puisqu'il dit ce qu'il sait et fait ce qu'il peut : un tel serviteur ne mérite pas de reproches. Celui qui, au contraire, a les capacités mais ne veut pas les mettre à profit, devrait à juste titre en souffrir beaucoup. Brendan, ce saint de Dieu, naquit de la lignée des rois d'Irlande. Étant de haut lignage, il se voua à un noble objectif. Il savait ce que dit l'Écriture : « Celui qui fuit les délices de ce monde sera tellement comblé auprès du Père céleste qu'il n'en saurait réclamer davantage. »

Ainsi cet héritier de la couronne renonça-t-il aux faux honneurs en faveur des vrais. Afin de s'humilier dans ce monde et de s'en exiler, il se fit moine, entra dans les ordres et prit l'habit; ensuite il fut élevé au rang d'abbé sans pourtant rechercher cet honneur. Ses dons étaient tels qu'ils lui attirèrent de nombreux disciples qui adhérèrent fidèlement à l'ordre qu'il avait établi. Brendan le pieux eut sous sa direction, en différents endroits, trois mille moines qui prenaient tous exemple sur sa grande vertu.




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Donna Aaliz la reïne,
Par qui valdrat lei divine,
Par qui creistrat lei de terre
E remandrat tante guerre
Por les armes Henri lu rei
E par le cunseil qui ert en tei,
Salüet tei mil e mil feiz
Li apostoiles danz Benedeiz.
Que comandas ço ad enpris
Secund sun sens e entremis,
En letre mis e en romanz,
Eisi cum fud li teons cumanz
De saint Brendan le bon abéth.
Mais tul defent ne seit gabéth
Quant dit que set e fait que peot :
Itel servant blasmer n'esteot.
Mais cil qui peot e ne voile,
Dreiz est que cil mult se doile.
Icist seinz Deu fud néd de reis;
De naisance fud des Ireis.
Pur ço que fud de regal lin
Puroc entent a noble fin.
Ben sout que l'escripture dit :
Ki de cest mund fuit le delit,
Od Deu de cel tant en avrat
Que plus demander ne savrat.»
Puroc guerpit cist reials eirs
Les fals honurs pur iceals veirs.
Dras de moine, pur estre vil
En cest secle cum en eisil,
Prist e l'ordre e les habiz,
Puis fud abes par force esliz.
Par art de lui mult i vindrent
Qui a le ordre bein se tindrent.
Tres mil suz lui par divers leus
Munies aveit Brandan li pius,
De lui pernanz tuz ensample
Par sa vertud que ert ample